[INTERVIEW] AMAURY FOUCHER

Amaury Foucher par François Berthier©

Dans le paysage cinématographique français, certains talents émergent avec une force et une authenticité qui captivent immédiatement. Amaury Foucher est de ceux-là. À seulement 25 ans, ce jeune acteur parisien a marqué les esprits avec son premier grand rôle au cinéma dans LA PAMPA d’Antoine Chevrollier. Présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2024, ce drame poignant sur l’amitié, l’adolescence et l’identité dans un milieu rural a propulsé Amaury sous les projecteurs, révélant un comédien d’une intensité rare et d’une sensibilité à fleur de peau.

L’histoire de LA PAMPA se déroule dans un village du Maine-et-Loire, un décor à la fois familier et méconnu du cinéma français. On y suit Jojo (Amaury Foucher), un adolescent passionné de motocross, et Willy (Sayyid El Alami), son meilleur ami, deux âmes liées par une complicité indéfectible. Dans cet univers viril où le bruit des moteurs et les codes masculins règnent en maîtres, leur amitié est mise à rude épreuve lorsque l’homosexualité de Jojo est révélée. Sous le regard d’un père autoritaire (Damien Bonnard) et d’une communauté peu encline à l’altérité, les deux garçons affrontent leurs propres doutes, leurs désirs et la violence sourde qui les entoure.

Au-delà de la technique, c’est l’humanité d’Amaury qui frappe lorsqu’il donne vie à un Jojo tiraillé entre ses désirs et les attentes d’un milieu hostile, offrant une réflexion subtile sur la masculinité et l’acceptation de soi. Rencontre avec un acteur à suivre !




LA PAMPA est votre première expérience de comédien à l’écran. Avez-vous déjà songé à en faire votre métier avant ce film ?
En fait, ça a toujours été un rêve depuis tout petit. J’ai fait beaucoup de théâtre toute ma vie, pas forcément pour des raisons professionnelles ou pour être comédien. J’ai toujours adoré le cinéma, mais je ne me suis jamais dit que ce serait possible pour moi. Enfant, j’avais beaucoup de mal à accepter mes émotions, par blocage ou pour des raisons extérieures, pour des raisons de vie. À travers des personnages, un peu par catharsis ou par projection, j’ai rapidement pu avoir des rencontres avec ces gens qui vivent des émotions sur scène, et du coup m’autoriser à ressentir ça. C’est un exercice qui m’a toujours plu et j’en ai fait en tant qu’amateur. Après le lycée, j’ai fait une licence de droit à l’université Paris-Nanterre. Puis, j’ai fait une école de théâtre pour rêver un peu, mais j’ai quitté cette école parce qu’ils m’ont dit que je ne pouvais pas manger dans la classe, donc je suis parti en coup de vent et j’ai claqué la porte sans jamais revenir.


Comment s’est passée l’audition pour le rôle de Jojo ?
J’écumais déjà un petit peu les sites de casting. J’ai notamment fait de la figuration dans la série THE NEW LOOK, mais ils m’ont supprimé de manière digitale en post-production (rires). Ils m’ont enlevé de toutes les scènes ! Après, je voyais des annonces dans des groupes sur Facebook, et quand j’ai vu passer une annonce pour LA PAMPA, j’ai envoyé une vidéo de moi. Pour l’anecdote, j’étais game master à l’époque dans un escape game, et j’ai envoyé une vidéo de moi en costume de pirate. J’ai fait semblant d’être entre deux sessions et d’être super pressé, alors que j’avais fini de travailler et que je voulais juste un cadre un peu spécial pour me démarquer. Après avoir envoyé la vidéo, j’ai rencontré Alicia Cadot,la directrice de casting du film. Je ne pensais pas que ça allait marcher. En rencontrant le texte, en rencontrant l’écriture des scénaristes Antoine Chevrollier, Berenice Bocquillon et Faïza Guène, ça s’est fait assez naturellement. Avec des fragments de casting, j’ai compris un peu la globalité de ce qu’ils voulait raconter. Assez rapidement, j’ai posé des questions très spécifiques et je suis allé chercher le rôle. Premier casting professionnel et premier film !


Et première fois à Cannes…
Oui, et c’est assez inattendu quand on n’a pas la chance d’être dans la grande famille du cinéma français. Après, c’est toujours une adoption partielle. On me dit que ma vie est en train de changer, mais je sais que tous les films ne vont pas à Cannes.

Amaury Foucher par François Berthier©



Comment s’est passée la rencontre avec Sayyid El Alami, qui joue Willy, votre meilleur ami dans le film ?
La rencontre avec Sayyid a été très intéressante. Nous sommes très opposés et je trouve que c’est ça qui fait le film. Il y a quelque chose du Ying et du Yang avec des énergies assez différentes dans nos personnages. Il y a quelque chose de très flamboyant dans mon personnage alors que celui joué par Sayyid est plus réservé. J’avais fait plein de call back pour le film, donc mon personnage commençait un petit peu à rentrer en moi. Je n’avais jamais vu Sayyid avant notre rencontre. Je savais qu’il avait fait la mini-série OUSSEKINE que j’ai regardée. Dès que j’ai commencé à comprendre ce que le réalisateur attendait de moi, j’ai adapté mon jeu. Il fallait que ça colle. La production nous a envoyés tous les deux à Saumur. Anotoine Chevrollier m’a dit : « Soit vous vous détestez, soit vous vous adorez. Dans tous les cas, vous allez créer quelque chose et ça va se voir à l’écran ». On a donc été à Saumur tous les deux avec très peu d’informations sur l’endroit où on devait se rendre, on avait juste une adresse située à l’extérieur de Longué-Jumelles. Là, on est les deux petits parisiens qui débarquent en ruralité. On se pose dans un café et on parle de la vie et du monde en fumant une cigarette. Puis, on rate le bus parce qu’on est dimanche et qu’il n’y a qu’un seul bus qui va à Longué-Jumelles. J’ai alors pris mon scénario, et j’ai écrit « Longué-Jumelles » sur la dernière page pour pouvoir faire du stop, comme dans les années 80. Il y a une amitié qui s’est créée derrière, qui est assez forte. Depuis qu’on est revenus à Paris, il me présente à tous ses potes, je le présente à tous les miens et on s’entend vachement bien. On a des amis en commun par le hasard. Moi, j’étais au collège avec certaines personnes qu’il connait. C’est vraiment un super mec. Notre amitié est partie de rien. On s’est rapidement engagé dans des conversations hyper politiques, on a fait un peu l’historique de nos vies. C’est très particulier de rencontrer quelqu’un et d’avoir presque l’obligation de tisser un lien avec.


Les scènes d’intimité ont-elles été compliquées à tourner pour vous qui commencez le métier ?
Bizarrement, non. Le troisième jour, on a fait une scène d’intimité relative à la sexualité et au corps. À la base, je suis quelqu’un de très pudique, mais pas sur un plateau de cinéma. Je ne sais pas ce qui s’est passé. J’ai appris le métier d’acteur de cinéma via Antoine Chevrollier, et il y a ce délire de se charger d’une énergie, de devoir se préparer à tourner telle ou telle chose. Chaque jour, on se charge de ce qu’on est censé donner en fonction du planning des scènes à tourner. Je me suis alors conditionné, je me suis mis en tête que je voulais vraiment baiser. J’ai pensé un petit peu à mon ex ou à des plans rencontrés via les applications de rencontres. Je ne me suis pas gêné. Je pensais que ça allait beaucoup me gêner d’être nu face à des gens autour de moi, mais en fait, habillé ou déshabillé, c’était la même chose.


Qu’est-ce qui peut aider à créer l’intimité physique avec un partenaire de jeu ?
Dans la scène en question, il y avait quelque chose de sulfureux et très en sueur. On a un peu picolé en s’envoyant deux ou trois flashs d’alcool (rires). C’était plus pour encourager mon partenaire que moi. Moi, j’étais remonté à bloc (rires).


À défaut des scènes d’intimité, quelle a été la scène la plus difficile à tourner ?
La scène la plus difficile à tourner et même à regarder aujourd’hui, c’est celle où je monte dans la chambre de mes parents avec le pistolet et que je décide de quitter mon environnement de merde, de quitter ce collectif qui rejette l’individu. C’était un peu horrible parce qu’il faut se charger de choses avant une scène. Sur le moment, j’avais pas du tout l’impression de jouer. J’avais vraiment l’impression de vivre la scène. Là, les larmes, je luttais pour les retenir. Il y a un côté très thérapeutique. J’ai laissé mourir des parties de moi qui m’handicapent depuis tout petit, depuis qu’au collège, j’ai eu une haie d’honneur me traitant de pédé, même si je n’avais pas vécu ça comme un trauma, étant très stoïcien.


La philosophie du stoïcisme, c’est un leitmotiv pour vous ?
Oui. Il y a une citation que j’aime beaucoup et qui dit : « N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites. Décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux. ». J’aime aussi « Fake it till you make it ! » (rires).

Amaury Foucher par François Berthier©


Votre personnage dans le film a un lien particulier avec son père. Quel est votre rapport à la famille ?
Je n’ai pas eu une relation avec mon père qui fait que j’ai pu me projeter pour le rôle. À l’inverse, je suis beaucoup plus proche de ma mère qui m’a élevé seule avec ma soeur et mon frère. Mon père est bipolaire, il a toujours été au chômage. Une galère ! Du coup, je peux beaucoup plus comprendre ce lien-là avec la mère. Dans la fameuse scène la plus difficile à faire, on peut avoir l’impression que je m’adresse au personnage de mon père, mais c’est surtout le personnage de ma mère que je regarde. C’était très réel de pointer une arme à feu sur soi, on pense que c’est un accessoire, mais ça reste un outil de mort.


Pensez-vous que cette part de drame du film puisse heurter un certain public?
Oui, et c’est hyper important pour le film. Bien sûr, c’est bien que les films et les séries queers d’aujourd’hui soient hyper positifs et donnent une possibilité à la jeunesse de se dire qu’une vie heureuse est possible, mais c’est quand même important de représenter aussi la tragédie qui touche encore la majorité des gens de la ruralité quand ils sont face à ça. Quand on voit qu’une collégienne s’est donnée la mort parce que l’algorithme de son application TikTok a pu lui suggérer comment se suicider, ça fait réfléchir. Les jeunes queers se sont toujours tués majoritairement plus, mais maintenant c’est cristallisé parce que le harcèlement vécu est documenté et on ne légifère pas assez vite.