[INTERVIEW] LOUISE COURVOISIER

Louise Courvoisier par François Berthier©

À seulement 30 ans, Louise Courvoisier s’impose comme l’une des promesses du cinéma français avec son premier long-métrage, VINGT DIEUX, dévoilé cette année au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard.

Née en 1994 à Genève, d’un père suisse et d’une mère canadienne-allemande, elle a grandi dans le Jura français, à Cressia, un village isolé où la ruralité brute et le savoir-faire fromager ont façonné son imaginaire. Formée à la CinéFabrique de Lyon, elle s’est d’abord fait remarquer avec son court-métrage MANO A MANO, Premier Prix de la Cinéfondation au Festival de Cannes 2019, avant de signer avec VINGT DIEUX une ode vibrante à la jeunesse paysanne et au comté, ce fromage emblématique de sa région natale.

Dans ce film, porté par des acteurs non professionnels, Louise Courvoisier raconte l’histoire de Totone (Clément Faveau), un jeune homme de 18 ans confronté à la mort de son père et à la nécessité de reprendre l’exploitation familiale tout en élevant sa petite sœur. Loin des clichés misérabilistes ou folkloriques souvent associés au monde rural au cinéma, la réalisatrice y insuffle une énergie lumineuse et un humour tendre, puisant dans ses racines jurassiennes pour offrir une vision authentique et dynamique de cet univers. Le film est reparti de la Croisette avec le Prix de la Jeunesse 2024 après avoir séduit le jury d’Un Certain Regard et les festivaliers par sa fraîcheur et sa justesse.

Rencontre avec une cinéaste qui, entre héritage personnel et ambition artistique, redonne ses lettres de noblesse à une ruralité trop souvent oubliée, tout en s’imposant comme une voix singulière dans le paysage du cinéma contemporain.



Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire  du cinéma ?
Au début, le cinéma, c’est un peu un hasard pour moi. J’ai grandi dans le Jura dans un endroit vraiment paumé, et j’avais envie de partir, de voir autre chose à un moment donné. Je voulais aller à l’internat, et j’ai choisi l’option Cinéma au lycée vraiment par hasard pour partir le plus loin possible. En faisant mes études, j’ai développé un petit peu ma passion pour le cinéma, surtout pour la fabrication, le fait de diriger des acteurs, de diriger une équipe. Il y a eu des films d’école, donc on monte des projets, ensuite on développe un peu. J’étais à la CinéFabrique, une école de cinéma qui existe depuis quelques années à Lyon. Je faisais partie de la première promotion de cette école, et c’est là-bas que j’ai appris, que je me suis fait mon réseau de cinéma qui m’a aussi accompagnée sur ce premier long métrage.


Comment on en vient à parler de fromage dans son premier long métrage ?
Pour moi, c’était évident, parce que c’est la jeunesse avec laquelle j’ai grandi. Depuis le début de mes envies de cinéma, j’avais ça dans un coin de la tête, j’avais envie de faire ce film sur mes collègues de village, ceux avec lesquels j’ai grandi et qui sont restés. Je suis partie faire mes études, puis je suis revenue vivre dans le Jura, mais je les ai observés avant et après mon départ, et j’ai eu envie de faire un film sur eux, à partir d’eux, donc c’était ça, la base de l’histoire. En ayant envie de faire ce film sur le territoire, je me suis intéressée aussi à tout ce qu’il y avait autour, et le fromage m’est venu dans cette idée d’être très ancrée dans ce paysage-là, avec des comédiens non professionnels.


J’imagine que vous n’avez pas eu besoin de beaucoup vous documenter sur le fromage et la région… 
Tout le monde a cette culture-là quand on vient de cette région-là, c’est omniprésent. Après, j’ai beaucoup développé pour le film car je ne connaissais pas la fabrication du fromage à ce point-là. À l’origine, mes parents sont musiciens, et ils sont devenus agriculteurs. Du coup, on a une petite ferme avec des céréales et des moutons. En revanche, tous les agriculteurs de ma région sont pout la plupart dans le lait à comté.


Vous consommez du fromage ?
Oui, je consomme du comté (rires). Pour nous c’est à tous les repas, sous toutes les formes, dans les fondues… Partout (rires)!.


Qu’est-ce qui a été le plus compliqué à élaborer avant de commencer à tourner ce film ?
Beaucoup de choses, à commencer par le casting non-professionnel qui était quand même un enjeu et un défi assez important pour le film. Il y a beaucoup de gens qui n’y croyaient pas pour cette raison. Ma productrice, Muriel Meynard, a toujours su que c’était ça qu’il fallait faire. On était très en phase sur cette question, donc ça aide aussi pour aller ensuite convaincre les autres. Après, c’est le CNC qui a un peu tout débloqué, mais ce n’était pas gagné d’avance.


Ce casting d’acteurs non-professionnels était-il aussi un défi pour vous en tant réalisatrice au moment du tournage ?
Oui, parce qu’il fallait que j’arrive à diriger tous ces gens en même temps dans des conditions de tournage quand même assez difficiles. Notre acteur principal s’est notamment cassé la jambe dans un accident de moto après une semaine de tournage. On a dû reporter le tournage de 6 semaines. Heureusement, ce n’était pas si grave que ça, mais quand-même…


Un premier film est déjà un challenge. Pourquoi avoir tenu à travailler avec des acteurs non-professionnels qui allaient rajouter une difficulté à votre tâche ?
Je pense que le film n’aurait pas du tout eu la même valeur s’il avait eu un casting connu. Je voulais ces acteurs pour une question d’authenticité qui repose sur des choses assez subtiles, assez fines. On s’est déployés à plein d’endroits, mais à cet endroit-là, j’avais besoin de cette authenticité pour incarner les rôles. J’avais envie de croire, j’avais envie d’accent, j’avais envie aussi de leur physique, de leur manière de bouger. Déjà, dans mon court-métrage, j’avais travaillé avec des non-professionnels, et c’est un travail que je trouve hyper intéressant parce qu’ils n’essaient jamais de plaire. On est dans une démarche où ils sont naturellement eux-mêmes. Ils ne cherchent pas à jouer. Il faut justement les amener plus dans un état ou dans un autre. Après, ils ne sauraient pas forcément s’adapter à un rôle qui est très différent d’eux. Là, l’avantage, c’est que j’allais chercher des gens qui étaient très proches des rôles que j’avais écrits.

Louise Courvoisier par François Berthier©

Comment convaincre des non-professionnels de vous donner autant de leur temps et de leur personne ?
Ce n’est pas facile, ça prend du temps. Au début, il y en a beaucoup qui ont refusé. Clément Faveau, l’acteur principal, a dit « non » au départ. On lui a dit : « C’est pas grave, réfléchis, on se reparle dans quelques jours, on peut faire un casting, on verra ce que ça donne, pas de pression, pas d’obligation ! ». On en a perdu certains aussi en cours de casting. Ces acteurs-là, ils ont un sens du travail et des responsabilités qui est déjà très présent. Ils savent très bien se lever très tôt le matin, travailler dur. Ce ne sont pas des notions difficiles pour eux. Ils sont assez résistants au côté physique de deux mois de tournage, même plus que l’équipe (rires). C’est des gens qui ont déjà un rythme, qui ont déjà fait un métier compliqué.


Qu’est-ce qui a fait changer d’avis Clément Faveau, l’acteur principal de votre film ?
Je pense que c’est le casting. Il a senti qu’il était quand même bon et que c’était naturel pour lui. Je pense qu’il a pris goût au jeu. C’était assez insolite dans sa vie, et il y a plusieurs personnes dans son entourage qui l’ont encouragé, notamment son patron.


Avez-vous utilisé des éléments de la vie de vos acteurs non-professionnels pour étoffer leurs personnages ?
Non, à quelques anecdotes près. Je ne voulais pas trop que ça ressemble à leur vie. Par contre, j’avais besoin que ça ressemble à leur caractère et à leur personnalité.


Comment avez-vous rencontré Myriel Meynard, la productrice de votre film ?
Je la connaissais un peu parce qu’elle était très présente à la CinéFabrique, justement. Par ailleurs, j’avais gagné le Premier Prix de la Cinéfondation en 2019 à Cannes avec mon court-métrage de fin d’études. Suite à ça, j’ai rencontré plusieurs producteurs dont Muriel que j’avais déjà pu croiser une ou deux fois.


Ce prix de la Cinéfondation assurait-il la sélection automatique de votre premier long métrage à Cannes ?
Ça faisait partie des choses qui étaient à la clé du prix avant. Moi, j’étais un peu à la frontière de ça, et ça n’existe plus maintenant. Il y avait quand même un suivi. On savait qu’ils allaient plus attentivement nous regarder, mais il n’y avait aucune promesse de sélection officielle. Ils me connaissaient mieux de par ce biais-là, mais il n’y avait pas de promesse.


Vous avez eu la chance de présenter ce premier long métrage à Cannes. Comment vivez-vous cette expérience ?
C’est incroyable comme expérience ! D’avoir vécu la projection hier, c’était hyper fort. C’est un moment très fort de pouvoir partager ça justement avec les comédiens qui sont venus jusqu’ici, qui se sont mis sur leur 31. C’était vraiment très touchant. Pour moi, c’était incroyable de pouvoir partager ce moment avec eux. Je ne réalisais pas à quel point ça allait être un grand moment. Après 5 ans de travail, tout d’un coup, on montre le film à plein de gens, pas seulement des gens qu’on connaît. C’est très agréable de se confronter aux autres et à leurs regards sur le film. C’est un peu une récompense. C’est vraiment super de pouvoir partager ça. Il y a un petit travail de lâcher prise à faire. Il y a des étapes, mais c’est assez agréable parce que c’est enfin le moment où il n’y a plus besoin de tenir. J’ai fini le film vraiment trois jours avant Cannes, donc c’est vraiment le moment où je me dis « ça y est, le film ne m’appartient plus » et c’est assez agréable. Que les gens aiment ou n’aiment pas, peu importe, on peut le partager. C’est un objet, maintenant.


Comment abordez-vous l’exercice de la promotion qui vous amène à répondre aux questions de parfaits inconnus ?
C’est sûr que c’est particulier, et en même temps, j’aime bien parce que c’est les premières personnes avec lesquelles je peux échanger sur le film. Vous êtes les premiers. C’est les premiers échanges qu’on a sur le film et c’est agréable.


Pensez-vous déjà au prochain ?
J’y pense, j’ai des petites idées, mais il faut que je trouve quelque chose qui s’accroche à moi pour me tenir 5 ans, donc je laisse mûrir encore.