« Sorry, Baby » : une pépite d’humanié et d’humour noir

Affiche du film "Sorry, Baby", en salles le 23 juillet 2025

Dans le paysage souvent prévisible du cinéma indépendant, SORRY, BABY d’Eva Victor surgit comme une bourrasque d’air frais, une œuvre qui conjugue avec une audace rare l’intimité d’un récit personnel et l’universalité d’une réflexion sur la résilience. Premier long-métrage de l’artiste protéiforme Eva Victor, qui écrit, réalise et incarne le rôle principal, ce film est une déclaration éclatante d’un certain talent, porté par une sensibilité à fleur de peau et un sens aigu de l’absurde. Dévoilé en compétition au Sundance Film Festival 2025, où il a conquis critiques et spectateurs, raflant au passage le Prix Waldo-Salt du scénario, SORRY, BABY s’est frayé un chemin jusqu’au Festival de Cannes 2025, où il a été présenté dans le cadre de sa sélection à la Quinzaine des Cinéastes, s’imposant comme un des meilleurs films de cette édition.

Le long métrage, structuré en cinq chapitres non chronologiques, suit Agnes, une professeure d’anglais dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre, dont la vie a été bouleversée par un événement traumatique – un viol perpétré par son directeur de thèse. Loin de se complaire dans une narration linéaire ou sensationnaliste, Eva Victor choisit de raconter l’après, ces fragments de vie où le chagrin, la colère et l’espoir cohabitent dans un équilibre précaire. Cette approche narrative, inspirée et maîtrisée, évoque le puzzle fragmenté de la mémoire, où le passé et le présent s’entrelacent pour révéler la complexité d’une reconstruction. Le scénario, d’une précision ciselée, évite les écueils du pathos pour privilégier une authenticité brute, ponctuée d’un humour noir qui désarme autant qu’il émeut.

Tour à tour vulnérable, caustique et lumineuse, Eva Victor, dans le rôle d’Agnes, livre une performance d’une justesse sidérante. Elle incarne une héroïne qui refuse de se laisser définir par son trauma, mais dont les blessures affleurent dans chaque regard, chaque silence. Son alchimie avec Naomi Ackie, rayonnante en Lydie, l’amie fidèle et pilier émotionnel, est le cœur battant du film. Leur entente, empreinte de tendresse et d’un humour complice, offre des moments d’une chaleur réconfortante, comme une étreinte dans la tempête. Le casting, enrichi par des seconds rôles savoureux – notamment Lucas Hedges en voisin maladroit et touchant, et John Carroll Lynch en bon samaritain inattendu – apporte une profondeur supplémentaire à cet univers où chaque personnage semble vivant, imparfait, humain.

La mise en scène d’Eva Victor, d’une sobriété élégante, laisse toute la place à l’émotion et à la justesse des dialogues. Soutenue par la photographie subtile de Mia Cioffi Henry, qui nimbe les décors de Nouvelle-Angleterre d’une lumière à la fois douce et mélancolique, et par la partition délicate de Lia Ouyang Rusli, l’esthétique du film épouse parfaitement son propos : un mélange de légèreté et de gravité, de douleur et d’endurance. La réalisatrice excelle à capter les détails du quotidien – un regard échangé, un rire étouffé, une crise d’angoisse contenue – qui rendent palpable l’intériorité d’Agnes.

Ce qui distingue SORRY, BABY, c’est son refus de simplifier ou de résoudre le trauma d’Agnes par une catharsis facile. Le film n’offre ni vengeance ni rédemption hollywoodienne, mais une méditation lucide sur ce que signifie continuer à vivre, à aimer, à rire, malgré tout. Eva Victor transforme un sujet lourd en une ode à la survie, où l’humour devient une arme de résistance et l’amitié, un refuge. Cette approche, à la fois courageuse et généreuse, fait de SORRY, BABY une œuvre qui ne se contente pas de raconter une histoire, mais qui invite à réfléchir sur notre manière de parler du trauma, de l’écouter, de l’accompagner.

Acquis par A24 et distribué en France par Wild Bunch à compter du 23 juillet 2025 dans les salles, le film redéfinit ce que le cinéma indépendant peut accomplir lorsqu’il est porté par une voix aussi singulière et empathique que celle de sa réalisatrice, qui offre avec SORRY, BABY une œuvre qui vous serre le cœur, vous fait rire aux éclats, et vous rappelle que, même dans les moments les plus sombres, la vie peut encore réserver des instants de lumière. Un joyau qui transcende son sujet délicat avec une grâce inattendue. À voir, à revoir, et à chérir.