[INTERVIEW] AMINE MESTARI : DOCUMENTARISTE PRODIDGE

L’un des évènements de ce 76e Festival de Cannes était la venue de Michael Douglas. La star américaine a reçu une Palme d’or d’honneur pour couronner ses 55 ans de carrière. Parallèlement à ce prix, les festivaliers on pu découvrir MICHAEL DOUGLAS, LE FILS PRODIGE, un documentaire présenté dans la sélection Cannes Classics qui retrace le parcours hors du commun de celui qui a su prouver qu’il n’était pas que le fils de Kirk Douglas. Pour réaliser ce film, la chaîne Arte a fait appel à Amine Mestari, à qui l’on doit notamment CLAUDE SAUTET, LE CALME ET LA DISSONANCE. Cette fois-ci, l’auteur, scénariste, et réalisateur a pu rencontrer le sujet de son documentaire puisque Michael Douglas a accepté de répondre à ses questions pour les besoins du film, faisant de produit final un document d’une rare sincérité. Et si Amine Mestari est un habitué du format documentaire, il n’en reste pas moins un insatiable cinéphile qui attend le bon moment pour offrir un premier film de fiction, comme il nous l’a confié lors d’une conversation autour de MICHAEL DOUGLAS, LE FILS PRODIGE, bientôt disponible sur Arte.


Quel est votre plus lointain souvenir de Michael Douglas ?
Je l’avais vu dans la série LES RUES DE SAN FRANCISCO quand j’étais tout petit. Je suis incapable de dire l’âge que j’avais et je me souviens de quelqu’un, mon père sûrement, qui disait « C’est le film de Kirk Douglas ». C’est vague et ancien mais c’est là. Il y a eu ensuite ses films à la télévision dont LE SYNDROME CHINOIS que j’ai vu dans les années 80. Après, j’ai un souvenir plus concret avec les films LIAISON FATALE et BASIC INSTINCT qui avaient fait un tabac énorme. Je suis un enfant de la télé et je ne pouvais donc pas passer à côté de l’âge d’or du cinéma hollywoodien qui a alimenté toutes les chaînes de télévision avec des films de Kirk Douglas. J’ai d’ailleurs plus de souvenir de Kirk Douglas que de Michael Douglas.


Lequel de ses rôles vous a le plus marqué ?
C’est une question compliqué. J’avais regardé pratiquement toute sa filmographie dans l’ordre chronologique avant de faire mon film à moi. Je ne sais spas si j’ai été influencé par l’interview que j’ai faite de lui mais c’est vrai qu’il très nature dans LIAISON FATALE où on a l’impression qu’il y a moins de jeu d’acteur et qu’il pourrait être ce personnage, ce qu’il dit dans le documentaire. Un rôle qu’il a un petit peu décliné en types de personnalités. L’homme blanc dominant quinquagénaire installé dans la vie, un peu arrogant sur les bords et sûr de lui. C’est un type de rôles dans lequel il excelle et on l’a beaucoup fait jouer dans ce registre-là. J’ai beaucoup aimé dans TRAFIC de Steven Soderbergh. C’est un peu le même genre de rôle mais qui s’effondre parce qu’il se rend compte que cela ne marche pas d’être ce genre d’homme fort.


Quel a été le point de départ de ce documentaire sur Michael Douglas ?
Pour moi, un film de fiction ou documentaire, c’est d’abord raconter une histoire et il faut qu’elle me plaise. La société de production FOLAMOUR pour laquelle j’avais déjà travaillé m’a appelé pour ce projet. Cela faisant un moment qu’on voulait retravailler ensemble. Ils m’ont proposé ce sujet après en avoir parlé à la chaîne Arte et j’ai dit « oui ». Ils avaient déjà évidement l’idée de « fils de » qui s’est dégagée très naturellement comme étant l’axe du film.


En vous commandant ce documentaire, vous a-t-on imposé un angle d’approche spécifique ?
Il y a quelque chose de facile dans l’exercice du biopic ou du portrait car on a déjà l’histoire, c’es la vie de quelqu’un, donc on regarde sa vie et il y a des éléments forts qui se dégagent : des anecdotes, des rencontres, des succès, des échecs… On a ainsi toute la matière qui arrive assez facilement. Après, on peut se faire emprisonner là-dedans et on oublie d’aller gratter des côtés un peu plus obscures. Rien ne m’a été imposé. En tant que réalisateur, même sur des productions documentaires où on n’est pas nombreux à travailler, l’exercice reste un sport d’équipe donc on discute. Des suggestions viennent de plusieurs côtés, de la production, de la monteuse, du chef opérateur, de la chaîne… S’il y a de bonnes idées, je les mélange à moi pour qu’elles fassent un peu partie de moi, même si elles viennent de l’extérieur, et je les incorpore.


Dans cette mesure, en quoi le produit final vous ressemble ?
Je n’en ai aucune idée. Je ne me vois pas de l’extérieur. Quand je me vois tous les jours dans le miroir, je sais que c’est moi, je me ressemble. Pour les films, c’est un peu pareil. On les regardant, je reconnais des trucs, des thèmes récurrents, des manières, de monter, des phrases, je le vois, je le sens. Des fois, cela m’agace car j’ai l’impression de refaire la même chose, et des fois, je refais les choses parce qu’elle me plaisent.


La durée du film imposée par le format télévisé a-t-elle été une contrainte dans la création ?
Oui, là c’est la contrainte d’un documentaire télévisé avec une durée très précise. Sur cette case, là, Arte voulait 52 minutes. À moi de m’y plier. c’est contraignant mais dans la contrainte, on trouve aussi des manières de faire et donc ça nourrit la créativité. Des fois, on se dit qu’on aurait aimé avoir quelques minutes de plus. Des fois, on peut vous demander 60 minutes de plus alors qu’il n’y a pas la matière pour meubler ce temps-là. L’essentiel de ce que je voulais traiter est dans le film. Il n’y a pas d’autres choses dont je voulais parler, j’aurais peut-être pu developer un peu plus certains sujets mais pas beaucoup plus.


Saviez-vous d’emblée que vous alliez pouvoir rencontrer Michael Douglas pour ce documentaire ?
Non. J’avais fait un film sur Claude Sautet et la question de le rencontrer ne s’était pas posée puisqu’il était mort. L’idée, c’était de faire un film plutôt en archives. Sur Michael Douglas, c’était tout à fait possible de faire également appel aux archives. Mais sachant qu’il est vivant, il aurait été dommage de ne pas lui parler, étrange de parler, de la vie de quelqu’un sans que lui et son mot à dire. Donc pour moi c’était mieux qu’il puisse intervenir. Mais il n’y avait aucune garantie, c’est assez rare dans les documentaires qu’on fait en France, ou même en général sur des stars et des gens qui ont beaucoup de notoriété qu’ils acceptent de se prêter à l’exercice car ils sont tellement sollicité que cela les ennui.


Selon vous, qu’est-ce qui fait qu’il a accepté de participer au documentaire ?
Dans le secret de son âme et de son cœur, je ne sais pas (rires). On a réussi à avoir la bonne personne pour le contacter directement par le biais de la société de production. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il était content de faire ce film parce qu’il aimait la France qui est un pays qu’il l’a toujours bien accueilli. Sa belle-mère était française. Il a été fait Chevalier des Arts et des lettres par Catherine Trautmann, il a eu deux Cesar d’honneur. La France comme pays de cinéma et de culture et par rapport à son histoire à lui personnelle et familiale est un pays qu’il aime bien. Tu l’as sans doute joué dans le avec une chaîne française veuille faire un documentaire sur sa vie. J’ai senti que c’était quelqu’un d’assez ouvert d’assez disponible et qui joue ce jeu-là. Il a grandi dans le show business et il sait qu’il ne s’appartient pas entièrement et il se prête assez volontiers au fait d’être public donc cela faciliter les choses. Il y a peut-être encore d’autres raisons mais un jour on a reçu une réponse disant rendez-vous le 18 mars à 12h30 à Santa Barbara. C’était à prendre ou à laisser. Le film n’était pas signé officiellement avec Arte, mais la boîte de production a décidé d’y aller.


Comment s’est déroulé l’entretien ?
Moi, j’ai le trac avant chaque interview, quelque soit la personne. Une peur presque enfantine de timidité, du fait d’être jugé par rapport aux questions qu’on peut poser. Le fait qu’il soit très célèbre rajoute un petit peu de trac. On se pose des questions, on tergiverse et on angoisse mais après on se lance. Je suis comme un comédien sur scène ou un sportif sur le terrain : dès que cela commence, je suis dans ce que je fais et je ne pense plus. Si on se retrouve en face d’une personne qui est désagréable, cela peut coincer. Michael Douglas, lui, est sympathique et cool. Il répond aux questions. J’avais rendez-vous à une heure précise. Je suis arrivé en avance. On avait un temps limité à une heure. On a mis trois caméras, on a réglé la lumière. Quand il est venu, on a réglé deux ou trois petites choses dans l’éclairage car il n’a pas la même carnation de peau que moi qui ai fait la doublure. Il a de cheveux blancs magnifiques. À la fin, lui était prêt à continuer mais son assistant a décrété que c’était terminé. J’ai réussi à gratter encore du temps sur quelques questions. J’aurais bien pris encore une heure de plus. Les réalisateurs sont gourmands d’images et de sons, même plus on a de matière et plus le montage devient compliqué.


A-t-il demandé à aborder ou à éviter certains sujets pour l’interview ?
Il a répondu à toutes les questions posés. S’il y a des chose qu’il n’a pas voulu dire, il ne les a pas dites, mais il n’a pas voulu imposer ou donner une direction. C’était libre. J’avais demandé à son assistant s’il y avait des sujets un peu délicats comme sa toxicomanie, son cancer ou ’incarcération de son fils mais il m’a dit « Non. Posez vos questions. S’il ne veut pas répondre, il ne répondra pas. ». C’était simple. J’ai parlé de presque tous ce que je voulais. Idéalement, il m’aurait fallu une demie heure de plus pour aborder tous les sujets et les creuser un petit peu plus.


À quel moment le film a-t-il été sélectionné par le Festival de Cannes dans la section Cannes Classics ?
Assez tardivement. La production m’en a parlé environ deux mois avant le début du festival pour dire que le film avait été proposé au comité de sélection. Le film a été terminé en janvier et, à ce moment-là, personne n’en connaissait l’existence à part Arte. De même, personne en dehors du Festival de Cannes ne savait que Michael Douglas allait recevoir une palme d’or d’honneur. À un moment, ces deux évènements, même si le mien est plus petit, sont entrés en collision et c’était parfait pour le festival qui du coup a quelque chose à proposer pour accompagner cette récompense. On honore et on célèbre quelqu’un et on a un film qui nous montre qui il est.


Savez-vous ce que Michael Douglas a pensé du documentaire ?
Je sais qu’il a beaucoup apprécié le documentaire. Il en a parlé à la masterclass qu’il a donnée ainsi qu’à la conférence de presse qui a eu lieu après.


Regardez-vous beaucoup de documentaires ?
Je suis un consommateur d’images, de films de cinéma et de documentaires. J’aime le cinéma et c’est pour cela que je fais des documentaires. C’est un peu comme mon rythme de vie en tant que réalisateur. C’est à dire qu’il y a des moments où je travaille beaucoup et des moments où j’ai beaucoup plus de temps. Quand j’ai beaucoup de temps, je peux regarder énormément de choses, des quantités proches de l’indigestion pour certains mais pour moi, cela passe très bien (rires).

Préférez-vous travailler sur de la fiction ou du documentaire ?
C’est différent parce qu’on travaille sur une matière réelle donc on ne peut pas dire n’importe quoi. On est tenu à une réalité et à des faits. En fiction, on invente un univers et des personnages. Après, c’est identique, parce qu’en fiction, dès qu’on a posé les bases de cette histoire, on ne peut plus faire n’importe quoi. Il y a une logique et une cohérence à l’univers et aux personnages qu’on invente. Au bout de dix pages de scénario, on ne peut plus faire n’importe quoi. Comme en documentaire, on est tenu à une réalité qu’on n’a pas choisie mais qui impose ses règles aussi. En documentaire, on suit un sujet qui nous amène quelque part et après on voit avec ce quelque part comment on peut le raconter pour essayer encore d’aller ailleurs. En fiction, on invente tout mais l’histoire qu’on invente finit par s’imposer à nous aussi.


Avez-vous des projets de réalisation de fiction ?
J’ai des envies de cinéma. Je suis dans la grande famille des métiers du cinéma et de l’audiovisuel depuis longtemps. Je n’ai travaillé que là-dedans. Je suis rentré par le désir du cinéma et j’ai commencé à travailler sur des films publicitaires au départ, puis sur des longs métrages J’ai a été assistant-réalisateur pendant très longtemps. J’ai réalisé quelques petits épisodes de séries télévisées un peu low-cost mais très intéressants à faire parce qu’on apprend plein de choses et que c’est une super école. Après, je suis revenu au documentaire un peu par hasard, par le biais de ma compagne qui est aussi réalisatrice de documentaires. Puis, à un moment, la perméabilité de la vie commune et de métiers qui sont très proches ont fait qu’on m’appelle et qu’on me propose des choses. J’avoue que depuis quelques temps, je n’ai pas vraiment le temps de me consacrer à d’autres choses. Pour développer mes projets de cinéma, il faudrait que je refuse ce qu’on me propose.


Quel genre de film de fiction pourriez-vous proposer ?
Je ne peux pas le dire car ce n’est pas encore assez mûr. J’ai une appréhension dans le fait de parler d’un projet que je ne maîtrise pas assez pour pouvoir réagir à des questions. Néanmoins, j’ai un projet de série télévisée de fiction historique chez MEDIAWAN que j’écris avec deux amis scénaristes. Je ne pense pas le réaliser mais les projets vivent leur vie avec les gens qui s’en occupent et à un moment j’aurai une réponse. Entre temps, je fais autre chose mais j’adorerais que cela puisse voir le jour. Pour ce qui est d’un film que j’aimerais réaliser, j’ai une idée que je caresse depuis un moment et que je garde au chaud au fond de ma poche mais il faut que je la sorte…