Interview : Ana Girardot

Elle a fait ses premiers pas au cinéma dans « Simon Werner a disparu » de Fabrice Gobert (2010) et s’est brillamment illustrée dans la série « Les revenants ». Souvent associée à des films dramatiques dans sa filmographie, Ana Girardot rêve pourtant de comédie et sa récente démonstration aux cotés de Jonathan Cohen dans la série parodique « La Flamme » dévoile un potentiel comique inattendu. Quand elle n’est pas dirigée, elle a des envie de réalisation et elle vient justement de créer sa boite de production pour donner libre cours à ces créativité.

Dans « Ogre » de Arnaud Malherbe, en salles le 20 avril 2022, elle incarne une jeune maman qui fuit un mari violent avec son fils pour se reconstruire dans un ailleurs où tout serait possible. Un film de genre sur l’enfance et la force de l’imaginaire. « Ogre » était présenté en avant-première au Festival du Film Américain de Deauville en septembre 2022, l’occasion de converser avec son héroïne.

Qu’est-ce qui a séduit l’actrice en vous dans le propos de « Ogre » ?

J’ai adoré le personnage de Chloé avec son arche, sa relation avec l’homme qu’elle rencontre et cette espèce de schéma duquel elle a essayé de sortir mais dans lequel elle s’est finalement remise. J’avais envie de jouer ce personnage. J’aimais aussi que le film soit du point de vue de l’enfant car cela avait un côté très fantasmagorique. Je savais également qu’Arnaud Malherbe, le réalisateur, s’était entouré d’une super équipe.

Est-il difficile de jouer avec un enfant qui est présent tout au long d’une histoire ?

J’ai eu une sorte de recul à un moment donné parce que j’avais déjà joué avec beaucoup d’enfants et j’avais plusieurs fois été maman à l’écran. J’avais ainsi l’impression de savoir plus que personne à quel point un tournage avec un enfant peut être dur, surtout quand il est tous les jours sur le plateau et qu’il est dans toutes les séquences du film. Je me suis dit qu’il fallait que l’enfant soit vraiment un coup de cœur pour que je m’engage à faire ce film. On a alors fait des essais avec plusieurs enfants et, dès la rencontre avec le petit Giovanni Pucci, j’ai su qu’il avait quelque chose. Le film n’a été que plaisir pour lui. Même quand c’était dur, il rebondissait tout de suite et c’était un bonheur de travailler avec lui.

Avec le jeune Giovanni Pucci, aviez-vous un rapport différent ?

Avant, sur un tournage, j’avais tendance à vouloir materner les enfants mais là, je souhaitais me détacher, en tout cas au départ. Giovanni était sympathique et il m’intéressait beaucoup. Ce qui est drôle, c’est qu’un jour, il est venu me dire :« Tu vas être une super maman ! ». Peu après, on a dû interrompre le tournage à cause de la pandémie de Covid-19. Quand on a repris le tournage trois mois plus tard, j’étais enceinte et il était content quand je lui ai annoncé la nouvelle. Dans ce film, le lien entre la mère et son fils est très important. J’ai ainsi compris ce que c’est de devoir veiller sur un enfant, de l’écouter, de l’accompagner dans ces moments de doutes et de le croire face à un adulte. Le fait d’apprendre que j’attendais un petit garçon à ce moment-là était assez bouleversant. Le reste du tournage, j’étais très paisible et j’ai pu commencer ma grossesse sur de bonnes bases.

Le film joue avec l’ancrage culturel de l’ogre. Y-a-t-il des figures de contes qui vous faisaient particulièrement peur quand vous étiez enfant ?

Ce n’était ni les ogres, ni les vampires, ni les sorcières. La nuit, je voyais un homme avec un manteau et un chapeau à la porte de ma chambre. Un jour, j’en ai parlé à Jonathan Cohen qui m’a dit « L’homme au chapeau, c’est connu ! ». Apparemment, il y a beaucoup d’enfants qui le voient dans une sorte d’apnée du sommeil. Il se trouve que j’ai aussi peur des fantômes et j’y crois.

Voyez-vous des métaphores dans les contes ?

Oui, les métaphores des contes existent dans la réalité. Un ogre, c’est quelqu’un qui vous dévore dans la vraie vie. Un vampire, c’est quelqu’un qui prend tout ce que vous avez pour se régénérer. Les sorcières existent ouvertement. Pour ces raisons, les contes parlent de choses universelles.

Enfant, aviez-vous un rapport d’angoisse face à l’obscurité ?

Oui, je n’aimais pas le noir et je laissais la lumière allumée ou la porte entrouverte. D’ailleurs, je ne voulais pas dormir seule dans la maison où nous avons tourné « Ogre ».

Le film se déroule en partie dans des atmosphères sombres qui imposent de tourner la nuit. Qu’est-ce que cela change dans votre manière de travailler ?

Je reste dans la même peau mais c’est juste plus désagréable de travailler la nuit parce qu’il fait plus froid et on a sommeil. Il y a énormément d’attente sur un tournage et, la nuit, il faut lutter avec son propre corps car le comédien n’a pas beaucoup de mouvements entre les prises et risque un gros coup de barre.

Chloé, votre personnage dans le film, démarre une nouvelle vie à la campagne. Pourriez-vous faire la même chose ou êtes-vous trop attachée à la ville ?

Jamais, jamais, jamais (rires). Certes, j’aime bien la campagne, beaucoup plus que quand j’étais petite. J’aime bien me ressourcer près de la nature mais, si je quittais Paris, ce serait pour aller à New York. On en reparle dans dix ans…

« Ogre » peut évoquer « Les oiseaux » d’Alfred Hitchcock ou « Le Labyrinthe de Pan » de Guillermo del Toro. Êtes-vous adepte du cinéma du genre ?

Oui ! J’ai même adoré être membre du jury du Festival international du film fantastique de Gérardmer en 2019. Ne faire que voir des films de genre pendant cinq jours, c’était un rêve ultime et j’étais très contente même si ce n’était pas la meilleure année au niveau de la sélection. J’arrive même à préciser les types de genres que j’aime. En l’occurence, je ne suis pas une fan de slashers et je ne suis pas dans le gore des zombies. Il faut que ce soit du paranormal proche du réel pour que cela m’angoisse vraiment.

Avez-vous constaté un renouveau dans ce genre de cinéma en France ?

Bien sûr ! Il est temps qu’on assume notre force dans notre catégorie de genre. On n’a pas ce que peuvent avoir les espagnols même si je ne sais pas l’identifier exactement. On n’a pas non plus la pâte américaine. En revanche, on a une pâte à nous et on arrive même à mélanger justement des manières de faire des films français avec du fantastique et je pense qu’il faut qu’on se fasse confiance et qu’on arrive à mieux se vendre.

Les salles de cinéma ont souffert de la pandémie de Covid-19. Qu’est-ce qui a changé pour vous durant ces temps morts ?

Les tournages ont continué de manière hallucinante alors qu’il n’y avait plus de salles de cinéma. C’est étonnant ! Moi-même, j’étais enceinte et j’ai réalisé un court métrage à Venise. J’ai eu un bébé grâce à ce confinement. Pauvre enfant (rires). Le fait de devenir maman a changé ma vision des choses et me permet de me challenger là où j’ai envie de l’être. Désormais, je pense mes choix autrement et je dois savoir exactement pourquoi je vais tourner tel ou tel film qui me fera m’absenter plusieurs semaines. Il faut que ce soit pour une bonne raison. J’imagine que, quelque part, l’exigence se verra et les proposition changeront aussi. Par ailleurs, j’ai monté une boîte de production pour réaliser plusieurs projets qui me tiennent à cœur.

Votre carrière au cinéma est principalement faite de films naturalistes mais vous avez récemment pris un virage comique en jouant dans « La Flamme », la série parodique créée par Jonathan Cohen, Jérémie Galan et Florent Bernard. Aimeriez-vous davantage de rôles dans ce registre ?

Jonathan Cohen m’a fait un cadeau parce qu’à la base, je voulais être clown. Plus jeune, mon père m’a fait découvrir un cinéma où il y avait beaucoup d’humour et j’adorais. J’aimais aussi faire rire et faire des sketches avec ma mère qui s’amusait à me faire improviser à partir d’un mot. Quand je retrouve des films de moi petite, c’est plus des caricatures que des drames mais je n’avais jamais eu l’occasion de faire de la comédie. Lorsque j’ai terminé « La Flamme », j’ai dit à mon agent que je ne voulais plus faire de drames (rires). Avant « La Flamme », on avait cherché des comédies mais c’est dur d’en trouver des bonnes en France parce qu’on peut très vite avoir un truc ultra cliché. Là, Jonathan Cohen, Jérémie Galan et Florent Bernard ont été généreux en personnages féminins. Je pleurais de rires à la lecture. Un bon casting tient à peu de choses et là, c’était une sorte de mayonnaise dingue et super équilibrée.

Vous envisagez donc de continuer l’exploration du comique…

Oui, j’aimerais mais il faut que les gens puissent m’imaginer dans une comédie. Peut-être que la suite de « La Flamme » pourra aider…