Interview : Diego Ongaro

Après avoir séduit le festival de Sundance en 2015 avec son premier film, « Bob and the Trees », Diego Ongaro confirme son étonnante créativité avec « Down with the King » que l’ACID a sur a bien fait de sélectionner. Cette histoire délicieusement saugrenue d’un rappeur parachuté à la campagne a valu à son réalisateur le grand prix 2021 du Festival du Cinéma Américain de Deauville. Rencontre avec le lauréat.

Comment êtes-vous tombé dans le rap d’en faire un film ?

J’ai écouté du rap dès l’âge de douze ans. J’ai grandi en étant nourri de rap donc j’ai une culture rap. Pour cette histoire, le fait de parachuter un rappeur dans une campagne m’amusait beaucoup. Le rap me suit aussi dans mes films. Mon film précédent parlait d’un rappeur blanc de soixante ans qui est fan de gagsta rap et de golf.

Pourquoi avez-vous choisi un vrai rappeur en la personne de Freddie Gibbs pour jouer le rôle de Mercury ?

J’aime travailler avec des comédiens non-professionnels et je voulais quelqu’un qui soit vraiment ce qu’on voit à l’écran sans avoir besoin de travailler ou de faire semblant. Cele permettait aussi d’avoir une matière à modeler d’une personne qui joue un peu son propre rôle.

Choisir un véritable rappeur vous garantissait-il une certaine authenticité pour les scènes musicales ?

Bien sûr ! Freddie amène tout son univers du rap, son parlé et son savoir faire musical. Il fallait le flow et je ne voulais pas que cela sonne faux. Je ne viens pas de là donc c’était important qu’il amène cela en plus de son expérience de vie à lui et que tout cela s’intègre à l’histoire. Je voulais qu’un travail d’écriture s’opère avec Freddie. Avec mon co-scénariste, Xabi Molia, on a d’abord écrit à deux en amont. Puis, quand Freddie est arrivé, on a parlé avec lui et on a réadapté. Il a amené énormément de choses de lui comme sa religion ou sa relation avec sa mère et on a intégré tout cela au film.

Était-ce facile de diriger un acteur non professionnel comme Freddie Gibbs ?

C’était du pain béni ! Je ne savais pas trop à quoi m’attendre parce qu’on n’avait pas fait d’essai. C’est moi qui lui ai proposé le rôle sur un coup de cœur car je croyais en lui en me disant qu’il allait être parfait dans le rôle. Il a accepté et il avait un vrai désir de devenir acteur. Il se voyait dans ce personnage en crise. Cela a été une énorme surprise de voir à quel point il était à l’aise et puissant dans ses intentions, dans ses scène et dans les dialogues. Il avait pas mal de liberté mais il a une énorme mémoire et il était capable de rejouer des scènes improvisées plusieurs fois à l’identique. Il a aussi un tempo en tant que musicien qui l’aide dans ses déplacements et ses mouvements. Il est très fort et je pense que cela se voit dans le film.

Votre film raconte l’exile d’un rappeur dans une campagne où il se découvre un goût pour la vie de fermier. Est-ce une façon d’humaniser l’image du rappeur ?

Cela faisait partie du point de départ du projet aussi. Prendre les clichés du rap à contre-pied et aller vers l’humain. Si on arrive à raconter l’histoire absurde ou saugrenue d’un rappeur qui veut devenir fermier sans pour autant tomber dans quelque chose de très potache, c’est parce qu’on se tourne vraiment vers l’humain. C’est intéressant dans la mesure où les rappeur se livrent très rarement. Ils ont une carapace, une espèce d’armure qui fait qu’ils jouent les durs jusqu’au bout mais ils possèdent une part de fragilité aussi. Je trouvais intéressant de montrer cela et de rendre ce rappeur très vulnérable dans ce contexte, loin de chez lui et de son univers.

Ce rappeur vit une panne d’inspiration et subit la pression de sa maison de disques. Avez-vous déjà connu cela ?

Pas directement. C’est un peu tôt mais peut-être que cela arrivera (rires). C’est une chose fréquente dans le monde qui nous entoure. On demande beaucoup aux gens et aux artistes. Il faut être partout, exister sur tous les réseaux sociaux, faire constamment sa promotion, accorder des interviews dans tous les sens, produire pour rester au top, envoyer des petits extraits de projets… C’est incroyable tout ce que cela demande en plus de produire l’œuvre. Cela met une pression colossale et il y a d’ailleurs beaucoup de dépressions.

Il y a un moment où le personnage de Mercury souligne le fait que se sont les blancs de l’industrie du disque qui décident pour les noirs du rap. Teniez-vous à évoquer l’aspect racial ?

Oui, c’était très important, surtout dans le contexte actuel. C’est aussi un des thèmes du film de montrer un rappeur noir au milieu d’une communauté complément blanche et de traiter l’aspect racial. Freddie a amené énormément là-dessus et il sait très bien en jouer quand il fait des répliques comme celle-ci qui lui appartient. C’est son expérience de noir américain qui propose cela. Moi, en étant blanc, je ne vais pas lui dire comment il doit réagir par rapport à certaines situations mais c’est quelque chose qui comptait vraiment pour nous et que je voulais traiter de façon subtile. On ne fait pas un film à thèse sur le racisme mais on en parle de manière détournée. Je trouvais aussi intéressant de montrer qu’il y a une harmonie possible entre un rappeur noir et un fermier blanc un peu redneck sans conflit. Il existe une ribambelle de films où une frange d’extrême droite de la population se lègue contre un nouveau venu à la couleur de peau différente. Les histoires de rap sont souvent des histoires de success-story. Moi, je raconte l’inverse. On part d’un mec qui est au sommet et qui tombe. 

Vous avez toutefois gardé le côté bling-bling très caractéristique du milieu du rap. Comment est née la sculpture excentrique à l’effigie du personnage de Mercury ?

C’était mon idée (rires). On a dû trouver une sculpture qui correspondait au Dieu Mercure et je trouvais très amusant que ce soit un truc un peu rococo en plâtre comme une réplique de statue grecque. On a rajouté une cassette et un téléphone pour la personnaliser. Pour l’inspiration, j’étais tombé sur l’émission « Cribs » sur la chaîne MTV qui montre des maisons de célébrités. J’y avais vu le rappeur Lil Wayne qui avait chez lui des Vénus de Milo dont il était très fier et je trouvais cela drôle car cela tranchait complètement avec le reste du décor et il y avait un côté mauvais goût qui m’amusait beaucoup. Je voulais replacer ce petit ressort comique.

Le côté semi-documentaire de votre film était-il pensé avant le tournage ou est-il survenu au montage ?

Non, cela fait partie du dispositif de départ qui était écrit. D’ailleurs, le film écrit n’était pas dialogué. On part d’une séquence qui fait une trentaine de pages parce que je sais que je vais tourner en partie avec des comédiens non professionnels et qu’il y aura toute une partie qui sera plus ou moins documentée. Quand on filme Freddie qui fait de la musique, j’ai des points d’accroche dans la scène parce que je sais où je veux aller mais quand je le filme en train de travailler sur sa musique, je lui donne très peu d’instructions parce que là, je veux voir comment il travaille et là, on le filme en documentaire. De même à la ferme, quand le fermier fait quelque chose avec Freddie, j’ai des directives mais quand il font vraiment le boulot, on est en mode documentaire. Après, il y a des moments où j’interviens davantage, notamment dans des scènes de drame. Il y a des choses découpées et d’autres plus documentaires. On a tourné en petite équipe pour obtenir un aspect réaliste et garder le côté très spontané de quelqu’un comme Freddie afin qu’il conserve sa personnalité.

Vous semblez tenir au réalisme dans les films…

Oui. Mon premier film, « Bob and the Trees », qui parlait d’un bucheron d’une cinquantaine d’années dans l’Ouest du Massachusetts et où apparaît pour la première fois Bob, le personnage du fermier, avait aussi ce côté documentaire. C’était très inspiré de la vraie vie de Bob mais enrobé dans de la fiction et refaçonné pour en faire une histoire et un film avec des parties très documentées où on le filmait en train de couper des arbres et des parties plus scénarisées.

Dans ce nouveau film, on retrouve effectivement le fermier, Bob Tarasuk, que vous présentiez dans votre film précédent. Pourquoi avoir repris précisément son personnage ?

Je voulais vraiment faire un diptyque avec une autre histoire. Cela m’intéressait beaucoup comme idée de série sauf que là, on est sur un film. Ce qui a été fait par François Truffaut avec le personnage d’Antoine Doinel est touchant et intéressant. J’aime l’idée de se retrouver dans cette même communauté de travailleurs, de fermiers et de bucherons qu’on voit très peu dans le cinéma américain. Je voulais continuer à raconter une histoire dans cette communauté dans laquelle je vis et que je connais très bien en intégrant un personnage complètement extérieur à cette communauté, à savoir ce rappeur qui est parachuté comme un poisson qu’on sortirait de l’eau.

Doit-on s’attendre à retrouver les personnages de Bob ou de Mercury dans votre prochain film ?

Peut-être (rires). Je n’y avais pas pensé mais c’est possible, je ne sais pas… Je pense m’éloigner de la forêt car j’ai envie d’essayer quelque chose de différent. En tout cas, j’aimerais beaucoup retravailler avec Freddie et je sais qu’il aimerait aussi. Il y a des envies et on s’entend très bien même s’il n’y a encore rien de prévu.