[INTERVIEW] ANDRÉS RAMÍRES PULIDO : GRAND PRIX DE LA 61e SEMAINE DE LA CRITIQUE

Andrés Ramírez Pulido par François Berthier©

Andrés Ramírez Pulido est un réalisateur et producteur colombien. Remarqué dans plusieurs festivals avec son premier court métrage, EL EDÉN, il était venu à Cannes en 2017 avec DAMIANA, un court métrage en compétition.

Il est revenu cette année sur la Croisette, à la Semaine de la Critique cette fois-ci, pour présenter, LA JAURÍA, son premier long métrage qui fait écho à ses précédents travaux en mettant une nouvelle fois en avant l’importance d’une figure paternelle pendant l’enfance et l’adolescence et comment celle-ci peut affecter des vies par sa présence ou son absence.

LA JAURÍA raconte l’histoire d’Eliú, un garçon de la campagne, qui est incarcéré dans un centre expérimental pour jeunes délinquants, au cœur de la forêt tropicale colombienne, pour un crime qu’il a commis avec son ami, El Mono. Chaque jour, les adolescents effectuent de durs travaux manuels et endurent une thérapie de groupe intense, sous le regard menaçant du gardien du camp, Godoy. Un jour, El Mono est transféré dans le même centre et, avec lui, le passé auquel Eliú tente d’échapper refait surface… 

Andrés Ramírez Pulido filme une génération abandonnée de jeunes hommes qui font inconsciemment partie d’un cycle de violence héréditaire et s’interroge sur la manière dont ces jeunes peuvent se libérer de cette violence qui imprègne leur propre nature hostile en suivant organiquement le personnage d’Eliú dans sa quête de rédemption.

Le film a remporté le Grand Prix de la 61e Semaine de la Critique ainsi que le prix SACD.



LA JAURíA, votre premier long métrage, parle notamment de l’absence du père qui était déjà évoquée dans votre court métrage, EL EDÉN, en 2016. Quel est votre rapport à la figure paternelle ?
Ce n’est pas une chose vécue personnellement. Cela dit, ma relation avec mon père n’était pas parfaite, c’est certain. En tout cas, ce que je peux dire, c’est qu’elle m’a marqué. J’ai fait, en quelques sortes, une recherche personnelle sur ce sujet. Je me suis demandé ce que mon père m’avait lui-même légué. Mon film parle de cela, de ce qu’on reçoit et de la façon dont, pendant l’enfance et l’adolescence, on est marqué par la figure paternelle.


Qu’est-ce qui fait la récurrence de ce thème dans ce que vous filmez ?
Au départ, je dirais que c’est un peu une recherche inconsciente de ma part sur la figure du père, mais je crois profondément que notre caractère et notre personnalité dépendent en grande partie des premières années de notre vie. Et puisque je travaille dans le cinéma, pour moi, cela veut dire faire passer cette réflexion dans mes films. C’est probablement quelque chose qui va me suivre tant que je serai dans ce métier et jusqu’à la fin de ma vie.


Diriez-vous que LA JAURíA est un film sur le pardon et la résilience ?
Oui, totalement. Personnellement, je suis croyant et il me semble que les chemins les plus difficiles dans la vie sont ceux de l’amour et du pardon. C’est difficile autant pour celui qui a commis une erreur que pour celui qui doit pardonner. Je vois le pardon comme un acte de libération.


Pour le casting de vos personnages, avez-vous été chercher de véritables jeunes en difficulté ?
Oui, les jeunes acteurs ont un vécu très similaire à ce que j’avais écrit dans le scénario et j’ai cherché justement des personnes dont l’histoire personnelle se rapproche le plus possible de ce que j’avais en tête. Pour le rôle d’El Mono, par exemple, on peut dire que l’acteur coche toutes les cases. C’est vraiment lui qui est le plus près de ce que j’avais écrit. Même le personnage de Godoy, qui est ce garde armé, travaille lui-même dans une prison donc c’est vraiment sa vie. Je dirais que c’est le jeune qui joue le personnage d’Eliú qui est le plus éloigné de ce qu’il incarne parce qu’il vit en réalité avec sa mère et qu’il va école, donc ce n’est pas un garçon de la rue et il a un rapport à la violence très différent des autres.


Souhaitiez-vous diriger des acteurs non professionnels dès le début de votre projet ?
C’était une envie dès le début du projet, oui. Trouver des jeunes qui sont proches des personnages et qui ont en plus une formation d’acteur est pratiquement impossible. Personnellement, je n’ai pas de problème avec les acteurs qui ont une formation professionnelle mais, dans ce cas, il aurait fallu que leur vie soit proche de celle des personnages. C’est une histoire qui exige une vérité de la part des acteurs et je pense que seuls des non professionnels pouvaient me la donner.


Votre film se déroule dans un centre de réhabilitation expérimental pour mineurs. Croyez-vous que ces lieux puissent rendre ces enfants meilleurs ?
Le sujet est complexe. Je suis totalement en désaccord avec cette idée de punition et de châtiment dans des institutions. Il existe différents types d’institutions. Il y en a, comme dans le film, où la punition est très dure et où c’est très violent. Il en existe aussi où c’est plus souple mais où il n’y a pas forcément de réel plan d’éducation et qui, au bout du compte, font autant de mal que les autres. Il n’existe pas d’institution qui considère ces jeunes comme de véritables êtres humains et il n’y a pas de formation professionnelle à l’origine de ces lieux. Finalement, ces jeunes n’ont pas de réelle protection à l’intérieur de leur maison et dans ces institutions non plus, ce qui est peut-être encore pire…