Interview : Samuel Theis
Attentif aux émotions et soucieux de la vérité de ses personnages, Samuel Theis fait partie des ces réalisateurs qui savent raconter une histoire avec ce qu’il faut de justesse et de surprise.
Son premier film, « Party Girl », qu’il a co-réalisé avec Marie Amachoukeli et Claire Burger, avait été présenté à Cannes en 2014 dans la section Un certain regard puis remporté la Caméra d’Or et on s’en souvient encore. Depuis, Samuel Theis a joué à la télévision, au cinéma et même au théâtre et il revient à la réalisation avec « Petite Nature », dont le personnage principal, Johnny, est un petit garçon de 10 qui ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes et qui voit sa vie en cité HLM basculer lorsqu’il intègre la classe d’un professeur qui croit en lui. Le film a remporté le Valois des Étudiants Francophones 2021 au Festival du Film Francophone d’Angoulême.
Party Girl, votre premier film était une co-réalisation, peut-on dire que « Petite nature » est votre véritable premier film ?
Je pense qu’on peut dire cela. On dit toujours que le deuxième film c’est le film le plus difficile et particulièrement quand le premier film a marché et qu’il y a une attente. Je pense que c’est compliqué de revenir derrière et encore plus compliqué quand le premier film a été une expérience aussi singulière que Party Girl qui a été fait à six mains et où j’ai embarqué ma famille dans une histoire. C’est une manière de faire du cinéma qu’on ne peut pas forcément Reproduire sur chaque film, il ne faut pas que cela devienne une recette et cela m’a posé plein de questions sur la manière dont j’avais envie de faire évoluer mon écriture et la réalisation de ce film là. Je parle dans petite nature d’une expérience que j’ai vécu personnellement mais avec laquelle je prends énormément de liberté et de distance et c’est vraiment la fiction qui permet cela. D’une certaine manière, je me sers de la fiction pour répondre au réel et à ce que j’ai pu moi vivre comme expérience. Je remets finalement avec ce film les adultes à leur place. J’aime cette idée que le cinéma peut réparer le réel cela s’est fait avec toutes ces réflexions là et a pris du temps. Même le fait de déconstruire ce que je voulais raconter et où je vous emmener cette histoire a pris du temps et il y a eu pas mal de versions.
A-t-il été question de refaire un film avec d’autres personnes à la réalisation ?
Non. Pour Party Girl, c’est un concours de circonstances qui a fait qu’on a décidé de se lancer tous les trois sur ce premier film. Cela ne devait pas être le premier film de Claire et Marie qui avait un autre projet au départ mais c’est celui-ci qui est finalement passé devant. Cela ne nous dérangeait pas et correspondait à quelque chose de notre âge à ce moment-là. On avait envie de façon un peu manifeste de signer une œuvre collective. Cela me rassurer aussi car les pièges étaient nombreux dans cette façon de faire et j’embarquais ma famille, Et je me sentais rassuré de les avoir avec moi.
Pression du second long métrage ?
Oui, j’ai senti beaucoup la pression puisque le deuxième film est le plus dur. Je pense que la caméra d’or met la pression aussi. Cette caméra d’or, On sentait bien pendant la promotion qu’il y avait toujours une manière d’essayer de savoir qui du trio de haut l’avoir. On a d’ailleurs assez mal vécu cela. Il y a quelque chose de beau en fait dans la manière de s’engager à trois sur un film et cela nous mettait à un endroit étrange. Claire a enchaîné toute suite avec un film derrière, Marie prépare le sien. Il fallait se trouver et se faire de la place. On traverse les mêmes questions en tout cas.
Vous parlez encore de vous ? Plus facile de parler de vous ?
Je pense qu’on parle toujours de nous, même quand on prend sujet quelle heure éloigné. La manière qu’on a de s’en emparer, c’est de se mettre à l’intérieur. Je crois que je fais des films parce que je me débat aussi avec la question de langue sociale, de l’endroit d’où je viens et de ce que cela a créé chez moi de honte pendant de nombreuses années quand je suis arrivé à Paris. Il a fallu que je quitte mon endroit pour atteindre le cinéma et le cinéma me fait revenir à cet endroit que j’ai quitté. Ce n’est pas anodin. Il faut que je l’assume. Quand on arrive à Paris, qu’on veut faire du cinéma et qu’on veut rentrer dans des écoles, on voit bien que c’est calqué sur des modèles bourgeois, c’est des codes qu’on doit déchiffrer et comprendre, qu’on essaye de reproduire alors qu’on n’arrête pas de nous rappeler qu’on ne vient pas de là. On est toujours renvoyé à notre origine sociale et d’une certaine manière, il faut que je l’assume. Je viens de là et je n’ai pas à en avoir honte. Je peux regarder cela de façon poétique et belle. Il faut aller vers les choses qui nous effraie plus parce que c’est là qu’on se révèle à soi-même.
Le scénario de « Petite nature » a-t-il toujours été celui qu’on voit dans votre film ?
Reparler de cette histoire me faisait peur. Il y a eu des moments où j’étais tenté balayer vers des choses plus radicales, plus spectaculaires, plus brutales et séduisantes sur le papier. Au final, le film est devenu ce qu’il est.
Le personnage de Johnny est-il la version mini de vous-même ? Il manque d’encadrement et de structure. En avez-vous manqué aussi ?
Absolument. J’ai manqué totalement de structure et de culture. Je viens dans un endroit où il n’y avait pas de livres à la maison, où la culture n’existais pas. J’ai manqué d’attention mais pas d’amour. Johnny, c’est un enfant qui manque d’un regard sur lui. La rencontre avec cette instituteur naît de cela et va construire Presque comme un quiproquo autour de ce regard parce que lui ne le ressent pas de la manière dont le professeur l’exerce.
Qu’est-ce qui vous a donné accès à la culture ?
C’est assez mystérieux. Cela reste mystérieux même pour ma famille par exemple. Je sens bien quand je vais les voir et que je l’ai retrouve qu’on ne parle pas la même langue, ce qui ne veut pas dire qu’on se regarde pas. Il y a une interrogation. Je suis un peu l’ovni et cela a été assez compliqué à vivre enfant à partir du moment où Il y avait quelque chose que je ne pouvais pas partager avec eux, qui m’isolait d’eux et qui rendait les rapports compliqués. Mon goût pour la lecture et pour le théâtre. J’ai fait un petit peu de théâtre à l’école. J’adorais la poésie, j’adorais faire des récitation et j’avais une très bonne mémoire. J’en apprenais beaucoup. Y avait quelque chose dans le fait d’apprivoiser les mots qui m’attirait énormément. En tant qu’enfant, j’ai beaucoup regardé les adultes parler et j’avais conscience que la manière de parler c’était déjà un rapport au pouvoir. Il y a des gens qui s’exprime bien et des gens qui s’exprime mal et on voit que les gens se juge à la manière dont ils parlent. J’avais conscience de cela de façon un peu opaque lorsque j’étais petit. J’étais attiré par les mots et j’avais envie de pouvoir maîtriser cela. Ce qui m’a aidé, c’est vraiment les rencontres. Il a eu ce professeur de CM2 mais aussi D’autres personnes après qui m’ont encouragé à développer cela et à partir.
Personnages ni blancs ni noir. Importance des facettes ?
Ce qui est sûre, c’est que j’ai envie de les rendre dans leur complexité pour rendre justice à mon milieu. Je n’ai absolument pas envie de me servir d’eux pour avoir des sujets aguicheurs ou provocateurs. J’ai l’impression que c’est leur rendre justice que de raconter qu’ils peuvent avoir des préoccupations autre que l’argent même si la question économique est au centre de tout. Ils peuvent avoir des questions métaphysiques, ils peuvent être sensible à la beauté. Pour moi, c’était important comme en littérature de se permettre de raconter les récits intimes de ces gens et de ce milieu de la même manière qu’on le ferait dans un autre milieu. La découverte ou l’éveil du désir chez un enfant qu’il soit d’un milieu social défavorisés ou aisé, on peut le raconter de la même manière. Ne pas cantonner le prolétariat à la question de l’argent économique, c’est leur permettre d’avoir des récits alors que la question sociale au centre du film. C’est presque comme un prisme. Forcément, On se raconte socialement mais l’expérience qu’on fait, la découverte de soi, j’ai l’impression que ce qu’il y a de romanesque là-dedans échappe aux questions sociales.
Vous parlez de l’éveil, du désir chez un enfant. Redoutez-vous une mauvaise interprétation du propos ?
Non car je crois que le film répond assez clairement sur la question moral. Il n’y a pas de trous blancs. Je n’invente rien quand je raconte qu’un enfant puisse profiter du désir sur un adulte. Maintenant, de le montrer, de faire vivre comme une expérience de cinéma du point de vue de l’enfant, c’est ce qui est nouveau et rare. Cela peut mettre mal à l’aise mais ce n’est pas très dérangeant. Ce qui est compliqué, c’est plutôt le climat aujourd’hui sur ces questions là. Il y a des gens donc c’est un peu le métier de créer des polémiques sur des films sans même les voir, juste à partir d’une bande annonce ou d’une affiche et c’est plutôt cela qui est un petit peu redoutable. À nous d’être vigilants dans la manière De communiquer, dans les images qu’on donne à voir, Dans la fabrication de la bande-annonce. On essaye d’éviter ces pièges.
Vous êtes une petite nature ?
Oui. En tout cas, on continue de me le dire (rires). Une petite nature n’est pas forcément quelqu’un de faible et c’est d’ailleurs ce que le film raconte.