[INTERVIEW] LUCIE CARIÈS – MÉMOIRE DE ROMY SCHNEIDER

Lucie Cariès DR

Documentaire présenté à Cannes Classics lors de la 75e édition du Festival de Cannes, ROMY, FEMME LIBRE rend hommage à la légendaire Romy Schneider et pose un regard neuf sur une des plus grandes comédiennes de sa génération à partir d’archives qui veillent à déconstruire l’image de femme brisée, trop souvent véhiculée par les nombreux reportages qui lui ont été consacrés.

Sa réalisatrice, Lucie Cariès, à qui l’on doit notamment des documentaires sur Louis de Funès et Jean-Louis Trintignant, a grandi avec les films de Romy Schneider et a tenu, à sa façon, à redonner la parole à l’intéressée par le biais d’images minutieusement sélectionnées et souvent inédites, ponctuées par la voix off du comédien Swann Arlaud.

Choisissant de nager à contre-courant des normes narratives, la réalisatrice nous raconte la femme Romy, au-delà de la beauté et des drames qui ont marqué sa biographie dans l’inconscient collectif, comme si l’icône de cinéma se racontait elle-même, 40 ans après sa disparition.


Comment avez vous découvert Romy Schneider ?
Romy Schneider, c’est la comédienne de ma mère. Ma mère avait une passion pour Romy Schneider. Cela a toujours été très chargé émotionnellement. C’est moi qui ai appris sa mort à ma mère quand j’avais 10 ans et il y a eu quasiment une semaine de deuil à la maison. Ma mère est née en 1937, Romy Schneider est née en 1938 et elle l’a vraiment accompagnée. Grâce à ce documentaire et à l’âge que j’ai aujourd’hui, j’ai pu me pencher sur le parcours d’une femme. Il se trouve que c’est Romy Schneider mais, ce que j’ai découvert d’elle est complètement dissocié de tout ce que je connaissais déjà. Cela fait tellement longtemps qu’on nous la raconte d’une certaine façon, sous un déterminisme du drame et de la tragédie alors que ces choses n’étaient là qu’à la fin. Tous les documentaires sur Romy Schneider commencent par le film L’IMPORTANT C’EST D’AIMER. J’ai voulu déplacer un peu le regard et nous remettre dans sa temporalité à elle. Comme mon documentaire n’est fait que d’archives, on avance avec elle.


Qu’est-ce qui a défini ce choix narratif composé uniquement d’archives ?
C’était une évidence. Il y avait moyen d’aller interviewer des compagnons de route, mais l’idée était de se replacer dans son temps et dans sa réalité, sans savoir ce qui allait arriver. Il fallait donc retourner aux archives du moment et presque lui redonner la parole. Je pense qu’elle aurait détesté qu’on la présente comme une victime.


Comment avez-vous abordé vos recherches autour de son existence ?
J’ai beaucoup lu, j’ai beaucoup visionné, notamment des témoignages qui avaient lieu pendant qu’elle était là. Je ne voulais pas que ce soit un regard a posteriori. J’aurais pu, par exemple, aller rencontrer Alain Delon, mais je ne voulais pas qu’il me raconte, à l’âge qu’il a, le regard qu’il porte aujourd’hui sur Romy Schneider car ce n’est pas mon sujet dans ce film. Mon sujet, c’est Romy Schneider au moment où elle était vivante.


Avez-vous consulté sa famille avant de commencer à travailler sur ce documentaire ?
On a été en contact dès le début avec Sarah Biasini, sa fille, parce que je voulais qu’elle sache qu’on faisait ce film, cela me semblait être vraiment la moindre des choses. Elle a tenu à nous laisser totalement libres et tranquilles. À la fin, j’ai voulu lui montrer le film parce que c’est aussi son histoire.


Diriez-vous que Romy Schneider était une féministe ?
Ce que je trouve intéressant, ce que nous n’étions pas dans la posture de l’ère du temps. Pourtant, Dieu sait si cette femme l’était. Elle suivait son chemin en ne voulant surtout pas être récupérée. Au début des années 70, les femmes féministes étaient assez radicales, ce qui est normal car les révolutions passent aussi par là. Romy Schneider ne voulait pas être assimilée à cela. C’était pareil pour ma mère qui me disait « Je ne suis pas féministe ! » alors qu’elle l’était, mais pas dans le sens militant ou excessif.


Votre film évoque plus la femme que les hommes qu’elle a pu croiser. Est-ce là une forme de féminisme ?
On en a tellement parlé des hommes de Romy Schneider ! C’était, certes, une grande amoureuse mais pas que. Je voulais la raconter de façon globale. Pour moi, c’est d’abord une comédienne, beaucoup plus qu’une amoureuse, puis une femme. Ce qui m’intéresse, c’est comment cette femme a avancé dans sa vie.


Sans les hommes…
Non seulement sans les hommes mais, par exemple, quand on nous parle d’Alain Delon, du moment où il la quitte, on dit qu’elle est dévastée. Oui, elle est malheureuse, mais elle est partie à Hollywood et elle savait le danger qu’il y avait à laisser Alain Delon, mais elle y va et c’est ce qu’on veut raconter, en fait. L’histoire est plus compliquée qu’une simple rupture.

Affiche © DR

Pourquoi avez-vous demandé au comédien Swann Arlaud d’être la voix off de votre documentaire ?
D’abord, je voulais que ce soit un homme. Je ne voulais pas que ce soit une comédienne qui s’inscrive dans une espèce de filiation ou qui aurait décroché le prix Romy-Schneider. Je trouvais que la féminité était suffisamment présente. Quand j’ai appelé Swann Arlaud, je lui ai dit « Si c’est pas toi, ça aurait été Patrick Dewaere ! » parce que c’est cette féminité-là ou cette masculinité-là que je voulais avec, en même temps, une modernité et Swann Arlaud a tout cela. Je voulais qu’on soit sur un terrain de comédien à comédien. Je voulais qu’il raconte les choses dans l’instant. Il a cette capacité tout en était un conteur.


Quelle a été l’implication du Festival de Cannes et de France Télévisions dans la fabrication de votre film ?
Le Festival de Cannes est arrivé après coup. Ils ont vu et aimé le film une fois qu’il était terminé. En revanche, pour France Télévisions, c’était une implication totale puisqu’il s’agissait d’une commande. On leur a proposé le film, ils l’ont accepté et financé. À partir de là, on a avancé ensemble sur la conception par le biais d’un visionnage au moment où le montage était suffisamment abouti avec des points de vue forts ou des extraits longs. Ils ont complètement suivi.


Avez-vous rencontré des difficultés à obtenir les droits d’utilisation de certaines images ?
Non, il n’y a eu aucun bâton dans les roues ! La productrice a été extrêmement pugnace et s’est battue pour qu’on ait les droits de ce qu’on voulait avoir.


Que diriez-vous à Romy Schneider si vous l’aviez en face de vous ?
Je ne sais pas (rires). J’espère juste qu’elle aimerait le film, qu’elle me dirait que je ne me suis pas plantée et que j’ai à peu près cerné qui elle était. J’espère qu’elle me dirait « Tu m’as comprise ! », ce qui est très prétentieux (rires).