[INTERVIEW] SAEED ROUSTAEE : RETOUR À LA FAMILLE
Saeed Roustaee fait ses débuts à Cannes en compétition avec LEILA’S BROTHERS, une saga romanesque sur une famille essayant de sortir de la pauvreté à Téhéran. Un film dense, tant par ses dialogues que par sa durée, qui rompt catégoriquement avec le genre polar de LA LOI DE TÉHÉRAN, son précédent long métrage, nommé pour le César du Meilleur film étranger en 2022.
Dans LEILA’S BROTHERS, une famille persane, autrefois fière et maintenant déchue, est au bord de la ruine. Le père de la famille, qui a travaillé toute sa vie, a désormais le choix de transmettre ses économies à ses cinq enfants adultes et ingrats (Leila et ses quatre frères), ou d’utiliser son argent caché pour assurer sa place de patriarche, un titre d’honneur et de respect dans la société persane. Parallèlement, Leila a l’idée d’acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères et épargner la crise économique à cette famille dont les membres vont manœuvrer chacun dans son coin et se révéler sous un nouveau jour…
Utilisant un humour allant parfois jusqu’à l’absurde, Saeed Roustaee s’efforce de montrer comment la corruption s’est infiltrée à tous les niveaux de la vie iranienne et explore avec beaucoup de nuances les contradictions de ses personnages dans un drame sarcastique où la critique sociale n’est jamais bien loin.
Nous avons eu le plaisir de poser quelques questions à cette nouvelle étoile du cinéma iranien.
Votre nouveau film, LEILA ET SES FRÈRES, évoque les traditions dans la famille persane. Est-ce important pour vous de mettre en avant ces coutumes au cinéma ?
J’aime bien montrer la vie, le courant de la vie. Ce que vous évoquez compose le quotidien. Il faut montrer la vie à travers chaque plan. Ces traditions font partie de la vie et c’est pour cela que je les montre.
L’aspect politique de votre film est différent de ce que le cinéma iranien a l’habitude de montrer…
Tout dépend ce qu’on appelle la politique. Je dirais que j’ai fait un film social et on ne peut pas enlever la partie politique d’un film social. La société et la politique sont entremêlées. En Iran, dans le quotidien des gens, la politique est présente. Les gens s’attardent sur ce que disent les dirigeants car leur vie est complètement influencée par tout ce qui se passe en politique. On arrive à voir énormément de choses politiques dans ce film.
Dans une scène amusante du film, la famille de Leila regarde du catch à la télévision. Quelle importance est donnée à ce média ?
ll faut savoir qu’en Iran, la télévision iranienne est peu regardée car toutes les personnes qui sont sympathiques aux yeux du public sont écartées de la télévision. Du coup, il n’y a pas beaucoup d’intérêt dans les familles pour la télévision iranienne. Les familles vont préférer regarder plutôt les chaînes du câble qui diffusent notamment du catch.
Même la mère de la famille s’intéresse à ce divertissement. D’où vient son attrait pour le catch ?
Ce qui m’intéressait dans la façon de vivre de cette famille, c’est que la mère adore ses fils. Pour montrer encore plus l’adoration qu’elle a pour eux et qu’elle n’a pas pour sa fille, elle en vient à regarder le catch et même à connaître tous les noms des participants.
Comment avez-vous construit le personnage complexe du père de la famille, à la fois attachant et imparfait ?
Ce qui me plaît dans ce personnage, c’est qu’il contient tout. C’est un personnage multidimensionnel. Il a eu une enfance et une vie très difficiles donc il a droit, lui aussi, à une forme de respect et de bonheur et, en même temps, il n’a pas le droit parce que ses fils n’ont pas d’argent. À chaque moment, cette complexité devient intéressante et donne du poids à son personnage.
Dans ce film, vous renouez avec la saga familiale qui était au cœur de LIFE AND A DAY, votre premier long métrage. LA LOI DE TÉHÉRAN, votre précédent film sur fond de polar était-il une parenthèse ?
Oui, c’est vrai que je préfère cette manière-là de filmer. LA LOI DE TÉHÉRAN était une expérience, une belle expérience. J’aime bien faire des expériences dans le cinema et il faut en faire, mais LEILA ET SES FRÈRES, c’est davantage moi.