Interview : Zbeida Belhajamor & Sami Outalbali
Lui, a été révélé dans « Fiertés », la série de Philippe Faucon avant de connaître une notoriété internationale grâce à sa participation à « Sex Education », la série phénomène diffusée sur Netflix. Elle, est une jeune actrice de théâtre habituée de la scène tunisienne qui l’a vue grandir.
Ensemble, Sami Outalbali et Zbeida Belhajamor sont les héros du nouveau drame romantique de Leyla Bouzid, « Une histoire d’amour et de désir ». Avec ce film, les deux jeunes comédiens nous entraînent dans une touchante valse de premiers émois. L’interprétation de Sami Outelbali lui a permis de décrocher le Valois de l’Acteur 2021 au Festival du Film Francophone d’Angoulême. Rencontre avec les nouveaux visages du cinéma français.
Qu’est-ce qui a fait naître en vous le désir de jouer la comédie ?
Z. B. : Ma maman a fait du théâtre pendant des années et dès l’âge de onze ans, j’allais avec elle assister à ses cours. Je n’avais qu’une seule envie, c’était monter sur scène avec elle. Quelques années plus tard, elle a accepté de m’inscrire et j’ai fait cinq à six années de théâtre amateur à Tunis. J’ai toujours su que je voulais faire de la comédie. C’est un métier qui me permet de m’émanciper intérieurement mais aussi extérieurement, de partir dans différentes directions et de voyager.
S. O. : Moi, j’ai commencé tout petit un peu par hasard. Ma mère m’a mis dans une agence comme on inscrirait un enfant dans un club de football et j’ai adoré sans trop m’en rendre compte. En grandissant, je me suis aperçu que c’était vraiment ce que je voulais faire pour la pluralité et la possibilité de vivre plusieurs vies. Intérieurement, je crois aussi qu’on a toujours un truc à régler avec soi-même quand on fait ce métier, comme une chose intérieure qu’on veut exprimer ou la quête de certaines réponses.
La notoriété qui accompagne ce métier vous fait-elle rêver ?
Z. B. : Je ne suis pas vraiment intéressée par cela. Je suis très attirée par le cinéma d’auteur. J’ai envie de jouer des rôles qui me parlent et qui vont me permettre d’avancer dans ma vie en tant que personne. On peut s’émanciper soi-même au-delà d’un rôle et c’est surtout cela qui m’intéresse. Quand je joue, je me sens en vie, je sens que je suis animée et c’est un bouleversement à chaque fois.
S. O. : Je n’ai pas forcément cherché la lumière quand j’ai commencé. Le plateau et les planches m’attiraient davantage. La lumière est arrivée d’un coup quand la deuxième saison de la série « Sex Education » dans laquelle je joue est sortie. Il a fallu apprendre à vivre avec une espèce de semi-notoriété qui n’est pas dérangeante mais qui est bouleversante dans une vie. Cela change des choses dans la vie de tous les jours, dans les relations personnelles et intimes. La notoriété n’est pas du tout une quête mais elle fait partie du contrat de base quand on fait ce métier. Si on choisit de faire ce métier, il faut accepter la possibilité que vienne à un moment donné une certaine notoriété. Il ne faut pas la réclamer ou la chercher parce que cela peut être malsain mais il ne faut pas la rejeter. Il y a du positif dedans puisque que qu’elle est la reconnaissance de notre travail par un public. Si on voit la notoriété de cette manière, elle est tout de suite moins pesante.
Vous partagez l’affiche du film « Une histoire d’amour et de désir » de Leyla Bouzid. Comment s’est passée votre rencontre ?
Z. B. : La rencontre a eu lieu à l’occasion du casting. J’ai passé un premier casting avec Leyla à Tunis pendant lequel tout s’est bien passé. Quelques semaines plus tard, elle m’a demandé de venir à Paris pour faire des essais avec d’autres comédiens. Sami était là et il y a eu une alchimie immédiate. Le lien était évident.
S. O. : Alors qu’elle était en fin d’écriture du film, Leyla m’a envoyé un message après m’avoir vu dans la série « Fiertés » de Philippe Faucon. On s’est donc rencontré et elle m’a parlé de son film. Elle m’a fait lire le scénario que j’ai adoré et m’a fait passer un casting. Je l’ai revue plusieurs autour de cafés pour reparler du film. Ensuite, on a refait un casting et Zbeida était là. On avait déjeuné tous les trois avant de faire l’essai pour détendre l’atmosphère et voir comment on allait s’entendre. Le déjeuner s’est bien passé et le casting aussi. On ne s’est pas revu avant le tournage.
Aviez-vous des appréhensions au sujet des réactions que pourrait susciter l’image des personnages maghrébins du film ?
Z. B. : Non. Farah, mon personnage, est extravertie et c’est une image qu’on a envie de montrer de la femme maghrébine. Ce sont des femmes qui existent de plus en plus dans le monde et surtout au Maghreb. Je pense qu’il est essentiel de le montrer parce qu’on a cette idée de la femme un peu soumise, émancipée mais jusqu’à un certain degré. C’était essentiel pour moi de jouer ce rôle sans hésitation et de montrer que cela existe. C’est un film élégiaque et très délicatement fait. C’est la littérature qui lie ces deux êtres donc cela ne peut être que subtile et délicat.
S. O. : À partir du moment où on fait un film, on fabrique quelque chose avec une équipe mais qui finit par ne plus nous appartenir. On ne peut pas avoir la main mise sur toutes les réactions. Le film aura mille et une interprétations et c’est aussi la beauté de l’art. C’est comme devant un tableau.
Le long métrage fait aussi la part belle à la littérature arabe. Aviez-vous cette culture avant de travailler sur le film ?
Z. B. : J’avais lu quelques œuvres littéraires orientales, notamment celles de Omar Khayyam et Ibn Arabi donc je connaissais un peu mais, avec le film, j’ai découvert encore plus d’auteurs et d’écrivains dont la lecture a été éblouissante. Je pense avoir une culture arabe assez prononcée car je baigne dedans depuis toute petite.
S. O. : Zbeida a une culture arabe beaucoup plus riche que la mienne étant donné qu’elle a vécu et grandi en Tunisie. Moi, à l’inverse, j’ai été beaucoup moins bercé à cela. Ma mère s’intéresse au soufisme et à la littérature orientale donc j’ai un peu baigné dedans mais je suis resté très en surface. Le film m’a ouvert à cela et m’a donné envie de me renseigner davantage sur la culture arabe et son histoire. Quand on lit des récits de cette époque, on s’aperçoit que la culture qu’on essaye de faire passer aujourd’hui pour arriérée ou ancrée dans le passé ne l’est absolument pas. La littérature courtisane arabe dont parle le film est une littérature extrêmement érotique, en avance sur son temps tout en étant très ancienne. C’est beaucoup plus subversif qu’un tas d’autres œuvres actuelles.
Vos personnages utilisent des lettres pour communiquer, chose peu fréquente avec la jeune génération. Avez-vous cette forme de romantisme en vous ?
Z. B. : Je l’ai totalement ! Je suis très romantique et rêveuse. J’écris souvent quand c’est un être que j’admire et que je ne peux pas atteindre.
S. O. : Je l’ai mais plutôt dans des moments de désespoir. Un peu comme l’e-mail d’Ahmed dans le film, la lettre est pour moi l’expression des sentiments qui arrive peut-être trop tard. J’ai un peu ce point commun avec Ahmed dans son retard sur l’honnêteté avec ses sentiments.
Quelle est votre plus belle histoire d’amour ?
Z. B. : C’est ce film.
S. O. : C’est celle qui est à venir.