INTERVIEW : FLORE VASSEUR & MELATI WIJSEN
Pour sa 74 édition, le Festival de Cannes a souhaité montrer son implication dans la protection de l’environnement en mettant en place une série de mesures écologiques et en proposant une sélection éphémères de films sur le sujet sous l’intitulé « Cannes pour le climat ».
Au programme de cette catégorie passagère, les festivaliers ont pu voir une fiction et six documentaires parmi lesquels figure « Bigger Than Us », deuxième long métrage de la journaliste française Flore Vasseur qui a suivi plusieurs jeunes activistes en quête d’une meilleure vie sur Terre. Le lien entre ces jeunes militants est assuré par Melati Wijsen, jeune activiste balinaise et personnage principal de ce somptueux film co-produit par Marion Cotillard et prévu en salles pour le 22 septembre 2021. Rencontre avec la la réalisatrice et son héroïne.
Pour son sa 74e édition, le Festival de Cannes a crée la section Cannes pour le climat dont votre film fait partie. Cette initiative vous paraît-elle suffisante ?
F. V. : Ce ne sera jamais assez (rires). Je pense que tous les films devraient aborder ce qui passe actuellement. Il n’y a plus de temps pour le divertissement. Cette nouvelle section, c’est bien, c’est un début, cela montre le chemin mais il est grand temps d’accélérer maintenant. C’est bizarre d’être mis dans une catégorie spécifique alors que nous devrions être partout. Ferions-nous une catégorie spéciale pour les films d’amour ? Ils veulent insister sur le sujet et c’est bien mais j’espère que nous ouvrons la porte à d’autres films qui existent et qui n’ont pas le privilège de bénéficier de cette lumière. Nous sommes aussi ici pour les autres et pour dire que ces sujets peuvent être à la fois percutants et de grandes œuvres d’art.
Comment est né ce documentaire ?
F. V. : Pour moi, c’est une continuation de ce que je fais depuis quinze ans. J’ai été témoin des évènements de 11 septembre 2001 et à l’époque, je n’étais pas du tout dans le cinéma, je n’écrivais même pas mais cela a changé ma vie. À ce moment-là, j’étais à New York pour du boulot mais j’ai décidé que je ne pouvais pas continuer de vivre la vie que j’étais en train de mener. J’ai commencé à me demander ce qui se passait dans le monde et je suis rentrée dans une phase de questionnements et d’écriture, essayant de trouver des activistes, interviewer des personnes comme Edward Snowden. Mon travail n’est pas nouveau mais ce film est le résultat de mon amitié avec Melati Wijsen que j’ai rencontrée cinq auparavant alors que je m’intéressais à l’activisme des jeunes. J’avais un sentiment d’impuissance avec mon travail de journaliste.
Vous sentez-vous moins impuissante aujourd’hui ?
F. V. : Je me sens moins impuissante aujourd’hui mais, sachant tout ce qu’il reste à faire, j’ai l’impression d’être une goutte d’eau dans un océan. Je crois qu’il était important que je sois cohérente avec mes convictions et mon travail et que je rende cela accessible. En ce qui me concerne, je me sens puissante en rencontrant des gens, en essayant d’aider et en rendant possibles ces incroyables énergies, ces idées et cette audace tout en les protégeant du cynisme, du sarcasme et des forces qui essaient de les tourner en dérision.
Comment avez-vous rencontré Melati Wijsen ?
Il y a sept ans, mon fils est venu me demander ce que signifiait le fait que notre planète va disparaître. J’ai réalisé qu’en dépit de mon travail effectué sur des livres ou des films, je n’étais pas capable de répondre à la question de mon enfant parce que j’avais passé mon temps à essayer de convaincre des adultes qui ne voulaient rien faire en pensant que la situation les dépassait. Le même jour, ma meilleure amie a tenu à m’envoyer une vidéo de Melati discutant avec sa sœur, Isabelle, au sujet de leur travail à Bali pour interdire les sacs en plastique. J’ai immédiatement eu envie de rencontrer cette fille. À ce moment, je travaillais sur une série pour la chaîne Arte mais, trois semaines plus tard, j’étais à Bali en train d’interviewer Melati pensant faire un petit reportage pour mes enfants mais c’était tellement fort que j’ai tout arrêté pour travailler différemment. Quand j’ai rencontré Melati, j’ai été époustouflée par les propos qu’elle tenait à son jeune âge.
M. W. : Les choses ont grandi petit à petit lorsque nous nous sommes rencontrées pour parler de mon travail autour des sacs en plastique. Flore était animée par les questions de son fils et moi, je faisais de l’activisme depuis environ quatre ans. J’étais déjà passée par ces questions au sujet de ce qui est possible de faire pour que les choses bougent et c’est là que j’ai commencé à avoir l’idée d’une narration plus grande que celle de mon action contre les sacs en plastique. J’ai alors voulu savoir ce que cela ferait d’aller à la rencontre d’autres acteurs du changement.
Le film donne au spectateur un sentiment de culpabilité…
M. W. : Ce n’est vraiment pas l’intention du film. En tant que jeune activiste, lorsque j’entends des personnes me dire qu’elles se sentent impuissantes, je leur réponds que c’est une excuse que vous n’avez pas le droit d’avoir parce que ce genre de films est censé être une activation et non une interruption.
L’activisme écologique est plus visible ces dernières années grâce à Internet et les réseaux sociaux. Existait-il avant cela ?
M. W. : Oui. Tout ce temps, l’activisme, le travail humanitaire et le changement, existaient déjà. Si nous remontons les générations, ce sont toujours les jeunes qui ont tenté de changer le système. Depuis toujours, si quelque chose ne va pas, ce sont les jeunes qui vont marcher dans les rues, protester, interpeller le gouvernement, entreprendre une grève de la faim. Le problème aujourd’hui, c’est que le système ne profite plus à notre planète et cela doit changer.
Votre film montre que la militante écologiste suédoise Greta Thunberg n’a pas le monopole du militantisme chez les jeunes…
F. V. : Oui. Greta Thunberg n’a fait qu’amplifier le mouvement. Melati par exemple a commencé à l’âge de douze ans, soit quatre années avant Greta. C’est la raison pour laquelle le film insiste sur l’âge de nos activistes qui ont tous commencé vers l’âge de douze ans. Avant cela, l’Histoire nous montre que la jeunesse a toujours ouvert la voie et nous pouvons citer Arthur Rimbaud en exemple. Les démonstrations sont un rite de passage dans la vie de chacun. Nous changeons en grandissant. Les outils de notre époque permettent de faire entendre plus de choses. C’est universel. Les activistes sont partout. Parce que la société où ces personnes se trouvent s’est effondrée, ils ont dû devenir actifs pour survivre. Ils ont déjà surmonté ces situations avant nous.
Durant vos nombreux déplacements pour les besoin de films, avez-vous été touchées par un pays en particulier ?
M. W. : Pour moi, je pense que c’est le Liban. C’était la première fois que je mettais les pieds dans une zone de guerre et dans un camp de réfugiés. C’est une expérience qui m’a clairement sortie de ma bulle. J’ai été réceptive à ce que me racontait Mohamad Al Jounde, l’activiste que nous avons rencontré là-bas.
Melati, vous êtes le fil conducteur du récit. Pourquoi êtes-vous habillée de la même façon dans tous les pays que vous visitez ?
M. W. : J’ai posé la même questions (rires).
F. V. : C’était mon idée. Nous ne savions pas ce que serait la structure du film avant de commencer à tourner et je voulais avoir laisser des options. Je ne savais pas du tout comment j’allais faire ce film d’autant que c’était mon premier long métrage. C’était une intuition. Je ne voulais pas de contraintes mais je savais que Melati serait le lien entre tous les protagonistes et je savais qu’elle aurait un rôle important en étant dans la position de celle qui écoute et qui pose les questions. Le film parle de sa quête et de ses questions. Melati est magnifique partout, c’est une beauté naturelle et nous n’avions pas besoin de lui rajouter des choses. C’était une chance de travailler avec elle.
Flore, d’où vient la lumière et l’optimisme qui vous caractérisent ?
F. V. : De mes rencontres. Nous avons tous cela dans l’équipe. Ces trois dernières années ont été les meilleurs moments de ma vie car je les ai passées à travailler tous les jours sur chaque phrase et sur chaque image de ce film. Il y avait une énergie particulière sur ce film. En tant qu’européen, nous allions avec confiance dans des pays brisées et nous écoutions le récit de personnes qui souffrent énormément. Cela a eu un impact sur tous les membres de l’équipe et sur la façon dont ils faisaient les choses, du directeur de la photographie à l’ingénieur du son. Ils ne travailleront plus jamais de la même manière. Pour eux, c’est une étape importante dans leur vie et cela n’a aucun rapport avec le potentiel succès du film. C’est davantage lié à l’aventure et à la force reçue pendant le tournage. Après cela, on peut gravir l’Everest.
Comment avez-vous réussi à impliquer Marion Cotillard dans le projet ?
F. V. : Par chance. Je l’ai rencontrée par hasard à un évènement et je n’étais spécialement d’humeur à attirer l’attention. Je me suis intéressée à sa personne. C’est une mère tout comme moi. Je l’ai vue avec ses enfants. Elle n’avait pas encore été confrontée à des questions importantes de la part de ses enfants comme j’ai pu l’être mais elle avait totalement compris. Elle m’a dit de lui parler de mon projet, ce que j’ai fait. Je lui ai dit qu’en tant que célèbre actrice, il serait intéressant de mettre sa notoriété au profit de causes importantes et elle a accepté. Elle a fait bien plus que mettre son nom au générique puisqu’elle a convaincu les meilleurs techniciens qu’elle connait de se joindre à l’équipe.
Sa présence a-t-elle suscité l’intérêt d’autres personnes ?
F. V. : Il y a deux catégories de personnes : celles qui sont venues parce que Marion Cotillard était impliquée ou parce qu’elles avaient besoin de travailler mais elles sont arrivées avec un certain égo qui ne permettait pas de s’adapter et elles sont donc reparties. Le reste, c’était des gens qui sont allés au-delà de ce qu’ils avaient l’habitude de faire. De la musique au montage, tout le monde était fou du projet.
Quel message avez-vous pour les personnes qui ne trient par leurs déchets ?
F. V. : « Fuck you ! » (rires).
M. W. : Pourquoi ne pas le faire ? Le problème des déchets est représenté dans tout le documentaire. Certains problèmes ont des solutions plus ou moins compliquées mais trier les déchets est une chose simple à faire qui aide tout notre système alors allez-y !